Par Sophie Roulé, Experte Vins et fondatrice de Involuté

Lors de deux soirées chez Anicia ("table nature" du 6è arrondissement parisien, orchestrée par François Gagnaire) "Vin et Truffe", j'ai a eu carte blanche pour sélectionner des cuvées issues de sa carte des vins, en accords avec les mets concoctés par le chef. L'occasion de revenir sur cet accord délicat, celui de la truffe noire du Périgord (issue du terroir de Louis Pradel) et le vin... Ainsi que sur la manière dont j'ai créé ces accords.

Lors de cette soirée, j'aurais pu partir sur une sélection de grandes appellations, en effet les Meursault, Pommard et autres grandes cuvées "qui truffent" avec l'âge, s'harmonisent merveilleusement bien... Mais avec le chef, il a été décidé de faire un pas de côté, en direction de vins d'auteurs, issues d'appellations moins onéreuses, pour montrer que la gourmandise, même truffée, pour peu qu'elle soit pensée et travaillée dans ses accords, peut être accessible.

Le challenge a été de sélectionner des cuvées d'auteurs avec assez de complexité, de coffre et de persistance pour accompagner la truffe du Périgord, qui se distingue elle-même par sa puissance et sa longueur en bouche. La truffe a été l'axe central de l'accord... il ne s'agit pour autant pas d'en oublier le reste du plat lors de la construction de ces harmonies, et prendre en compte les saveurs, les arômes et les textures des mets et des vins, pour les faire dialoguer, et espérer aboutir à l'accord parfait!

Ces dîners ont été une occasion en or de sortir des sentiers battus, et d'accorder la truffe avec des cuvées peu attendues... à tort, preuve en est par ce menu à 5 temps.

Deux amuses bouches  ont ouvert le dîner, une gougère suivie d'un croque finger, tous deux truffés. Pour aiguiser les papilles, les vivifier, et mettre en éveil les sens, la bulle... tombe sous le sens.

J'ai cherché un Champagne alliant délicatesse et puissance, qui sait dialoguer avec la truffe, sans pour autant l'écraser. J'ai ainsi choisi la cuvée Les Alouettes du domaine Sadi Malot, un Blanc de Blancs parcellaire millésimé (2018), élevé sous bois et vieilli 5 ans sur lattes. Un Champagne qui en a sous la pédale donc, gastronomique, vineux à souhait, et qui s'est métamorphosé au fil de la dégustation : sa finale crayeuse s'est révélée au contact de l'élégante gougère, alors que sa signature vineuse s'est accentuée avec le gras du croque finger. 

L'entrée était un potage aux poireaux truffé. Et lorsque le chef, lors de nos échanges préalables, m'a présenté à cette entrée, il s'en est suivi quelques sueurs froides... car accorder un potage avec un vin, qui plus est un potage aux poireaux, a été un vrai défi!

Défi relevé du côté de l'Alsace, avec la cuvée Riquewhir 2022 du Domaine Marcel Deiss. Certes, une cuvée toujours dans sa jeunesse, mais avec la dualité recherchée. En effet, le potage aux poireaux se distingue par une sucrositée, il est primordial de l'accompagner d'une cuvée pleine de tendresse, et ce vin, issu de complentation de Pinot Gris et Riesling porte ses promesses, le Pinot Gris répondant à merveille à la sucrosité du met, alors que la profondeur du Riesling enraciné sur un sol argileux, apporte la profondeur et le corps qui sied tant à la truffe. Le pari est gagné!

La Poularde demi deuil est une spécialité du chef François Gagnaire, elle consiste en une poularde avec, sous la peau, dissimulée et pourtant bien présentes en bouche, de fines lamelles de truffes. Le tout accompagné d'un jus de volaille, de légumes racines et d'une embeurrée de choux.

J'ai travaillé sur deux alternatives, deux cuvées issues du Domaine Julien Cécillon. Le Saint Peray Gemini, millésime 2021, pour les aficionados de blanc, charmés par ses notes notamment de fruits secs, ainsi que son gras, qui forment un bel équilibre avec la charmante volaille. Le Crozes Hermitage Les Marguerites 2020, avec ses notes réglissées, poivrées, relèvent quant à elle le plat, en le taquinant, tout en le respectant, les tanins de la cuvée étant très fondus. Deux propositions d'accords, qui ont l'avantage de proposer deux lectures de ce plat emblématique, deux dialogues vins et truffes très différents, l'un sur des accents de finesse, et l'autre, de puissance.

La connaissance du vin sous voile est souvent limitée au vin jaune du Jura, et pourtant le Sud de la France notamment en crée de magnifiques, mon choix s'est porté sur son expression issue du Domaine Jean Boucabeille : sa cuvée Vin Sous Voile millésime 2017. Des notes oxydées, évoluées, dans l'élégance, la délicatesse, présentes sans pour autant être écrasantes.

Des notes complexes, pour une cuvée à la présence en bouche indéniable, il n'en faut pas moins pour accompagner la complexité aromatique et la puissance d'un vieux salers doublé des truffes cultivées par Jean Garcia.

À dessert audacieux, choix de cuvée audacieux! François Gagnaire a travaillé un nougat hautement gourmand, qui fait la part belle aux fruits confits et fruits secs. 

J'ai opté pour un cidre d'auteur, ou plutôt d'autrice, la cuvée Nantosuelta de la vigneronne de pommes Johanna Cécillon, un cidre parcellaire, millésimé, à la douce sucrosité, aux accents de caramel et de vanille, texturé à souhait. L'harmonie est parfaite, tant côté arômes - les univers de fruits confits, secs s'entremêlant parfaitement aux accents gourmands du cidre, sublimés par les notes de sous bois de la truffe - que côté texture (les fines bulles de cette cuvée ont réveillé les papilles lors de dessert aux accents cocooning).

En conclusion, nul besoin, pour accompagner un dîner à la truffe, de cuvées onéreuses. La galaxie vins est ainsi faite que des vins d'auteurs, élaborés avec amour et patience, reflets de leur terroir et de leur millésime, développent de telles complexités qu'ils peuvent être également constituer et sublimer de beaux mariages gastronomiques truffés!